Elie Baussart

Conscience de Wallonie

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L’enseignant et l’homme d’écriture

 

 

Enseignant au Collège des Jésuites de Charleroi, alors qu’il vient d’être élu membre du Conseil national de l’U.D.B, Elie BAUSSART connaît des moments difficiles. Le 22 novembre 1945, dans une lettre au recteur du Collège, il s’interroge sur les raisons de l’entretien qu’il vient d’avoir avec lui quelques jours plus tôt: regret de le voir engagé au sein de ce parti? risque de compromettre le Collège? invitation à choisir entre cette activité et son emploi?.

Voici ce  qu’il écrit:

« Quand, il y a trente-sept ans, je suis entré dans l’enseignement, c’est sous l’impulsion d’une véritable vocation: j’aimais l’enseignement. Je ‘y suis donné avec une passion que le temps ni la fatigue n’ont pas épuisée et, aujourd’hui encore, j’ai gardé l’enthousiasme et la ferveur du débutant.

Sans doute, je déploie une certain activité politique. Ce n’est pas d’aujourd’hui, et je crois l’avoir toujours conciliée avec mes devoirs d’état, sans rien enlever du temps, ni du travail que je devais à ma classe et à mes élèves, en dehors même de ce qui était rigoureusement exigé par ma charge.

Cette activité, je l’ai exercée, certes parce que j’en ai le goût, mais – ou je m’abuse fort sur la réalité du mobile dernier auquel je crois avoir obéi – parce que j’estime qu’un catholique a un devoir social à remplir, imposé par la charité et le souci du bien commun, rappelé avec insistance par les Souverains Pontifes. C’est dans cet état d’esprit que je me suis voué autrefois à l’activité syndicale: j’ai fondé des syndicats chrétiens, je m’en suis occupé pendant  de longues années; j’ai milité au sein de la Ligue des Travailleurs chrétiens; j’ai fondé et j’ai dirigé pendant vingt ans la Terre Wallonne où, là et ailleurs (ce n’est pas moi qui le dis, c’est pourquoi je me permets de m’en prévaloir) j’ai agi en « champion des droits de l’Eglise et de la civilisation chrétienne dans presque tous les domaines où ils étaient attaqués » (R. van DOTEGHEM, S.J. Nouvelle Théologique, mai 1940).

Certains s’inquièteraient maintenant de me voir prendre part dans le débat politique d’aujourd’hui. Suis-je téméraire en soupçonnant ces mêmes âmes bienveillantes qui mènent une cabale contre moi depuis plusieurs mois, d’avoir agi auprès du Révérend Père Provincial pour me compromettre à ses yeux?

Je suis de l’U.D.B sans doute. Mais je serais curieux des avoir s’il en se trouve pas des confrères et mêmes des collègues qui appartiennent à des comités du P.S.C? Ira -t- on  à leur sujet interpeler le R.P. Provincial?

Je prends la parole dans des réunions politiques. Mais, Révérend Père Recteur, voilà plus de trente ans que je le fais.. Notamment, j’ai participé, et fort activement, aux campagnes électorales de 1932 et de 1936. Aucun de mes supérieurs n’y a trouvé rien à redire, car je n’ai reçu ni aucun blâme, ni aucun avertissement.

Les circonstances sont changées? Hélas! Mais son Excellence Mgr CARTON de WIART « comprend les raisons que l’U.D.B invoque pour justifier son existence et son action.

Vous m’avez fait remarquer, Révérend Père Recteur, qu’il est interdit aux officiers et fonctionnaires de s’occuper de politique. Je ne crois pas que les situations soient comparables. Rien de plus normal que cette défense faite à un officier; elle s’explique aussi pour un fonctionnaire. J’avoue que je ne vois pas les raisons pour lesquelles elle pourrait s’appliquer à une membre de l’enseignement libre aussi longtemps qu’il ne va pas à l’encontre des décisions ou des directions de la hiérarchie.  De plus, et cet argument me paraît décisif, un officier ou un fonctionnaire sait, avant d’entrer dans la carrière, qu’il renonce à cette forme de sa liberté de citoyen. Chez nous, aucun engagement de la sorte n’a jamais été demandé ni spécifié dans le contrat d’emploi, et une longue pratique a confirmé qu’il n’en a jamais été question.

Vous m’avez dit aussi que certains catholiques, parents d’élèves, pourraient s’inquiéter de me voir engagé dans ce mouvement. Etes-vous sûr, Révérend Père Recteur, qu’il n’y a pas d’autres parents d’élèves qui le voient avec sympathie et qu’il n’y a pas d’excellents chrétiens qui applaudissent, et parmi ces « pauvres » dont parle l’Evangile: nos ouvriers chrétiens, la majorité des anciens jocistes, et parmi le membres du Mouvement populaire des familles, et, enfin, je crois pouvoir ajouter, dans le clergé et jusque dans l’entourage de notre évêque?

Le scandale, si scandale il y a, n’existe que pour ceux qui le souhaitent ou qui le créent.

Quel genre d’enseignant fut Elie BAUSSART. C’est un de ses anciens élèves (anonyme) qui nous dresse ce portrait.

La photo … (que nous publions dans notre album photos) semble refléter une classe studieuse mais assoupie. Il n’en est rien. Elie BAUSSART n’est pas le professeur rivé à sa chaise et à son texte. Les élèves ne sont pas des auditeurs qui prennent des notes sans relever la tête et avalent passivement la parole du maître.

Voyez-le plutôt arpentant la classe, stimulant le travail des ces jeunes de 16-17 ans, et s’assurant de leur attention.

Ecoutez-le fustiger de sa voix sévère le pauvre student plongé dans son « Andromaque » et apprenant la leçon de mémoire du cours suivant.

Il ne badinait pas avec le travail et la discipline.

Très décontracté, sûr de lui, entièrement libéré de ses papiers, il parle de façon vivante. Maître de son sujet – il met 10 à 12 heures pour préparer un cours, c’est une garantie d’objectivité – il peut se lancer dans de vastes synthèses, relier un siècle à l’autre, mettre en scène, avec tout son talent de comédien, un événement sur un ton tantôt grave, tantôt moqueur, tantôt mordant.

Ce n’est pas le fonctionnaire ni le maître qui enseigne par devoir. « Un maître qui s’ennuie ne peut qu’ennuyer les élèves ». Il aime communiquer sa pensée.

Ou encore, ce témoignage de Jean Mayeur:

Elie BAUSSART n’a pas été pour moi un éveilleur comme le fut Henri VAN LIER par exemple, mon professeur de 2ème latine. C’est seulement à l’université que je pris goût à l’Histoire. Elie BAUSSART donnait l’Histoire moderne – une période bien loin de notre époque – un petit cours de deux heures/semaine. C’est l’homme qui m’a impressionné ! Comme tous mes condisciples j’admirais cette personnalité très riche qui me dominait de toute sa valeur sans nous écraser; il respectait la personnalité de chacun »

Ou encore, ce témoignage de Jean-Pierre MASSAUT:

Comment exprimer cette influence d’Elie BAUSSART, précise par son intensité, mais diffuse par sa profondeur?

Ce qui rendrait le mieux la force de cette présence, ce serait peut-être le regard.

De ce professeur d’Histoire, de ce maître d’Humanité, je vois le visage, j’entends la voix, je suis les gestes, j’ai connu, partagé ses idées, j’en ai vécu et j’en vis toujours. Et cependant, s’il fallait choisir parmi les témoignages du souvenir, je choisirais le regard. Et d’emblée, la liaison est établie entre lui et moi, indissociablement. Aujourd’hui, comme hier, en nombre de circonstances, je vois ces yeux s’allumer, ce regard me percer, me solliciter. Je le vois m’inviter sans contrainte, indulgent et impératif, lucide et audacieux, tendre et amusé, radieux, étincelant…

Cet œil de feu et d’humour rayonnait, étincelait en une sorte de perpétuel clin d’œil. Par ce regard, au premier coup d’œil, on se sentait jugé , non pas condamné – jamais – mais compris, accepté, reconnu, en toute vérité et en toute liberté, en ce tréfonds où l’on ne peut biaiser. On était rendu à soi-même. Bien plus, le regard lumineux et mystérieux vous renvoyait toujours au-delà de lui-même et au-delà de vous-même: au Tiers Présent, à Dieu.

 

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Personne à ce jour ne s’est risqué à dresser une liste exhaustive et complète de la production littéraire d’Elie BAUSSART, tant il a publié, pour lui-même, sous son propre nom ou sous le couvert de pseudonymes, pour lui-même ou comme contributions à des revues ou journaux divers.

Ces écrits abordent tous les aspects de sa militance : régionalisme, politique, syndicalisme, foi. Mais aussi des aspects de sa vie intime.

Citons, entre autres et d’une manière très incomplète :

Ohé ! les Wallons ( in La Nation) (29/04/1914)

La question linguistique en Belgique ( in La Nation) (17/06/1914)

La Révolution belge de 1830 et l’Europe  (1923)

Charleroi et son bassin industriel (1926)

Le Pays de Charleroi. Monographie industrielle, artistique, littéraire et pittoresque (en collaboration avec M. CAMBIER)  (1928)

Lettres à un Wallon sur la question linguistique (1931)

L’ouvrier sous le régime capitaliste (Cité chrétienne) (20/12/1937)

Essai d’Initiation à la Révolution Anticapitaliste (1938)

De la Souffrance à l’Amour  (Sous le pseudonyme de V. DUCHATEAU) (1943)

La Question royale en Belgique (in Politique) (Sous le pseudonyme de H. FORGEUR) (05/11/1945)

Catholique, mon frère (1945)

Le problème wallon (in Politique) (décembre 1945)

De la souffrance à l’amour. Vie de Valentine (sous le pseudonyme de V. Duchâteau) (1947)

La crise de l’économie wallonne  (in Le soir) (17/10/1950)

La vocation et la mission des prêtres ouvriers (in La Revue Nouvelle) (15/05/1953)

Le Porche d’Argent (in La Revue Nouvelle) (15/01/1955)

Le chrétien est missionnaire (en collaboration avec E. Natalis) (1956)

Les causes de la déchristianisation de la classe ouvrière (1958)

 

Adieu à la Démocratie chrétienne (1973)

 

 

Parmi les revues auxquelles il prêta sa plume, citons surtout:

La Terre Wallonne Catholique et Régionaliste (essentiellement la chronique politique et comme « gérant »), de 1919 à l’aube de la seconde guerre mondiale.

Routes de Paix, dans les années 50 (il y tenait essentiellement la chronique: « la vie internationale »).

Les archives Elie BAUSSART se trouvent au Centre d’Animation et de Recherche en Histoire ouvrière et populaire (CARHOP) 3, rue des Moucherons à BRUXELLES.

S’il n’existe à ce jour aucune biographie d’Elie BAUSSART digne de ce nom, de nombreux témoignages, articles de journaux et de revues divers, travaux et ouvrages ont été écrits sur Elie BAUSSART. Citons entre autres :

F. BAL. La Terre wallonne, catholique et régionaliste (1919-1925). Mémoire. U.C.L 1972. W. BAL. La faillite de 1830 ? Elie Baussart et le mouvement régionaliste (EVO. 1973)

W. BAL Elie Baussart. (in Biographie nationale T.39. fas. 1er) (Bruxelles 1976)

J.GERARD-LIBOIS. Comment être catholique, démocrate et wallon (in LA REVUE NOUVELLE, n°3, mars 1976)

D. DENUIT. Elie Baussart et l’aventure de la Terre wallonne. (in L’ETHNIE FRANCAISE, janvier 1977)

M. LIBON. Elie Baussart(1887-1965) L’identité wallonne et le Mouvement wallon. (Thèse de doctorat. U.C.L. 1986)

Jean NEUVILLE. Adieu à la démocratie chrétienne? Elie Baussart et le mouvement ouvrier (EVO. 1987)

M. LIBON. La démocratie chrétienne et le régionalisme. Première approche dans Foi gestes et institutions religieuses aux 19et 20èmes siècles. Sous la direction de L.COURTOIS et J. PIROTTE. (LLN.1991)

M. LIBON. Wallons et catholiques. Quelques pierres d’attente sur un chemin difficil. (in LA FOI ET LE TEMPS, 1992)

M. LIBON. (Démocratie chrétienne et politique. Un texte inédit d’Elie Baussart. Sous la direction de F. ROSART et G. ZELIS.  (In LE MONDE CATHOLIQUE ET LA QUESTION SOCIALE  1891-1950. BRUXELLES 1992)

M. LIBON. Elie Baussart.“Raciner le Wallon“(Editions Jules Destrée. 1993)

FONDATION ELIE BAUSSART. Elie Baussart nous parle aujourd’hui. (*)

 

(*) disponible gratuitement auprès de la Fondation, sur demande.