Elie Baussart en bref
Biographie
Le Militant
Wallon
Le Militant
Politique
Le Syndicaliste
Le militant
pour la paix et l'internationaliste
Le croyant
L'enseignant
et l' homme d'écriture
Bibliographie
La
fondation Elie Baussart en bref
Historique
Objectifs
Activités
Publications
Contacts
Actualités
de la Fondation
Bulletins
Toudi
|
|
|
Ecoles
en discriminations positives : des bantoustans en Communauté
Wallonie-Bruxelles.
Ecoles en discriminations
positives : des bantoustans en Communauté Wallonie-Bruxelles.
Bernard DE COMMER, Président de la Fondation
Elie BAUSSART. Militant syndical au SEL-SETCa.
Le concept d'écoles en discriminations positives
est apparu il y a quelques années, alors que Madame ONKELINX
était Ministre de l'Enseignement. C'est la réponse
qui avait été trouvée alors dans un contexte
de graves violences en milieu scolaire. L'idée a paru intéressante
à l'époque parce que, dans un contexte de large désinvestissement
en Communauté française, des moyens supplémentaires
étaient accordés aux établissements fréquentés
par des populations à problèmes. Cela donnait aussi
meilleure conscience aux écoles huppées qui ne souhaitaient
pas voir débarquer en leur sein des enfants en difficultés
d'apprentissage et qui ne se sont jamais gênées pour
les orienter au plus vite vers des écoles mieux adaptées,
disent-elles, aux difficultés de ce type d'élèves.
Ce rejet est tellement vrai qu'il s'étend aussi aux enseignants
qui souhaitent, après dix années dans ce genre d'écoles,
souffler quelque peu et réintégrer un circuit plus
habituel. On a vu des directions, parfois soutenues par leurs professeurs,
ignorer les demandes ou tout faire pour que ces demandes ne puissent
pas être rencontrées et se mettre ainsi en porte-à-faux
avec la loi.
Dès le début, dans diverses publications,
j'ai souligné les dangers d'institutionnaliser des pratiques
visant à créer de véritables bantoustans et
donc de rendre plus difficile encore l'intégration de tranches
entières de populations scolaires. Aujourd'hui, il apparaît
de plus en plus clairement que les écoles en discriminations
positives qui ne devaient l'être qu'un temps puisqu'elles
avaient pour objectif de tirer d'affaire ce type d'élèves,
que ces écoles le sont devenues à perpétuité
en quelque sorte. Perpétuité d'ailleurs consacrée
par Décret. Pire, peu à peu, on voit des éducateurs
et des enseignants issus de l'immigration aboutir dans ces établissements
parce qu'on ne les souhaite pas ailleurs. D'autre part, les élèves
qui sortent avec un diplôme des écoles secondaires
en discriminations positives sont comme fichés aux yeux de
potentiels employeurs. La liste des ces écoles à public
réputé difficile est publiée dans un décret
accessible à tous.
Dès lors, ces discriminations positives deviennent,
dans les faits, des discriminations négatives. Elles sont
de véritables bantoustans qui n'intègrent pas mais
excluent plus encore s'il était possible.
La réflexion que je propose aux lecteurs
de TOUDI vise non pas à mettre en cause les personnels qui
réalisent sur place un travail exemplaire avec les moyens
du bord mais à attirer l'attention sur les dérives
d'une société de plus en plus excluante. Société
qui cherche avant tout à se protéger par une politique
d'apartheid qui ne dit pas son nom tout se réclamant hypocritement
d'une volonté de donner des chances d'émancipation
à tous.
1/ Le concept de " discriminations positives
" est un reflet du glissement de l'éthique de l'action
vers une éthique de la réaction.
Notre société, depuis le début
des années 70, se caractérise par un glissement de
l'éthique de l'action vers une éthique de la réaction.
Une éthique de l'action sous-tend un projet
global de société qui soit, comme le souligne Marc
Maesschalck dans L'éthique des convictions ( Ed. St-Louis.
1994), " une articulation entre le temps vécu(privé)
et le temps social (commun) " mais nécessairement soumise
à la " pression conjuguée des luettes libératrices
déstructurant l'univers répressif produit par les
processus totalitaires visant l'idéal mécanique de
la reproduction sociale. ". Cette éthique, aujourd'hui,
est en voie d'éradication. L'Institutionnel sous toutes ses
formes conçu par l'éthique de l'action est en crise.
Parce qu'il y a affaiblissement de cette nécessaire articulation
entre le temps vécu et le temps social, au profit du premier
exclusivement, se traduisant par une explosion de l'individualisme
forcené, avec sa composante économique qu'est la privatisation,
parce que ce qui reste de cette articulation vise, avant tout, à
la reproduction sociale, au statu quo. Dans la perspective d'une
société de stricte reproduction sociale, la pensée
s'uniformise et tend vers la " pensée unique ",
c'est-à-dire unilatérale.
Les conflits d'intérêts (individuels
ou collectifs) disparaissent-ils pour autant ? Non, mais ils revêtent
un aspect très différent de ce qu'ils sont dans le
cadre d'une éthique de l'action. Faute d'être fédérés
autour d'un projet mobilisateur commun, les intérêts
individuels et collectifs s'opposent sur des champs parcellaires
de la société. Soit qu'ils induisent des mouvements
purement corporatifs voulus ou non ( à quoi, par exemple
ont été condamnés les enseignants il y a deux
ans, faute d'avoir pu intéresser les autres secteurs), soit
qu'ils ne s'adressent qu'à des dysfonctionnements particuliers
du système (par exemple, la justice ; comme si la justice
pouvait être isolée du système socio-politique
qui la génère). Les mouvements, y compris syndicaux,
issus de cette praxis ne remettent que peu en cause la société
comme telle. Nous sommes dans une éthique de la réaction
qui mobilise des masses parfois considérables, mais sur un
point limite, souvent " affectif " : la Marche Blanche,
mais aussi la mort de Diana, du Roi Bauduin. Cette éthique
de la réaction ne sous-tend aucun projet global de société
; elle se traduit en termes d'émotion partagée avec
effet, parfois, de psychothérapie de groupe. Ainsi a-t-on
fait ,dans l'imaginaire des foules, de Diana une Mère Thérésa,
par projection de nos propres angoisses, incertitudes et culpabilité
réelle ou non, sur une princesse. Actualisation d'un conte
de fée. Ce n'est pas neuf, certes. Mais, aujourd'hui, cela
seul tend à se manifester.
On a certes vu apparaître un mouvement neuf,
l'altermondialisme, ou plutôt des mouvements neufs, épars,
regroupés sous ce générique, porter contestation
de la société mais dont on ne perçoit pas encore
très nettement quels sont les fondements idéologiques
sur lesquels ils s'appuient, c'est-à-dire quelles structurations
de vie en commun applicables au plus grand nombre ils proposent.
Il faudra sans doute attendre encore un peu de temps pour les situer
en termes d'éthique de l'action ou d'éthique de la
réaction.
La notion même de " discriminations positives
" relève, à mon sens, de l'éthique de
la réaction. La bonne volonté de ceux qui ont institué
les écoles à " discriminations positives ",
de ceux qui les défendent, n'est évidemment pas en
cause. N'empêche qu'il faut bien constater qu'on retrouve
avec ce type de scolarisation toutes les caractéristiques
d'une éthique de la réaction : un constat émotionnel
de départ (il y a des jeunes exclus du système scolaire,
c'est profondément injuste), une action à la limite
du problème, une action de périphérie. Sonia
BONKOWSKI, une militante syndicale très impliquée
dans des actions éducatives ciblées sur les milieux
socioculturellement défavorisés et qui sait donc de
quoi elle parle, a fort bien souligné les praxis parcellaires
mises en avant dès le début des années 80 :
" ... la création de zones d'éducation prioritaire
(Z.E.P.) avec leurs bataillons d'animateurs de rue, de médiateurs,
de maisons de quartier, de bibliothèques, de projets divers.
".
Si le problème - et il l'est - est bien comme l'affirme Sonia
BONKOWSKI (op. cit.) " ce gouffre engendré par la différence
de niveau social et culturel (qui) se vit dès l'entrée
en maternelle et se creuse, hélas, souvent, davantage, au
cours de la scolarité ", comment croire vraiment qu'on
puisse en venir à bout par quelques emplâtres posées
çà et là, alors que, dans un même temps,
on laisse se développer un système sociétal
engendrant logiquement de telles exclusions ? Comment croire qu'en
marginalisant plus encore les marginalisés, en les enfermant
dans des ghettos scolaires, on pourra en faire ne fût - ce
que des citoyens respectueux des lois et utiles économiquement
à la société ?
On peut lire dans un document du C.E.F, La promotion
de la réussite des enfants issus de milieux défavorisés
(12/12/1997) : " les élèves concernés
par les politiques d'éducation prioritaire sont souvent victimes
d'un double processus d'exclusion. La ségrégation
sociale, opérée à l'extérieur par leur
groupe d'appartenance est renforcée par la faiblesse de la
formation qui leur est assurée lorsque les programmes sont
limités aux seuls aspects qui rencontrent leur intérêt
ou leur adhésion. ".
Pour sa part, Marc MAESSCHALCK écrit, dans
Pour une éthique des Convictions (Ed. Facultés St-Louis.
1994), qu' " au centre de cette nouvelle approche éthique
se trouve la procédure de justification des normes. Sa pertinence
repose sur son adaptation au contexte social où elle s'inscrit
: une société dont la base est la légitimation
sociale, c'est-à-dire dont le pouvoir investit dans des stratégies
pour se donner une crédibilité publique et s'assurer
ainsi l'adhésion et le soutien des citoyens. ".
On y est en plein. Et les effets d'annonce en tous
genres qui ont tendance à occuper le champ médiatique
de plus en plus et à devenir la règle en matière
d'information au citoyen, sont une parfaite illustration de ce souci
de légitimisation du pouvoir en place. Il faut bien faire
quelque chose pour être crédible. La justification
du pouvoir n'est plus dans le projet, mais dans l'action. Il y a
de cela chez PhilippeBUSQUIN, quand il affirme dans Aujourd'hui
le futur (Ed. Quorum 1997) : " Enfin, aujourd'hui plus que
jamais, la pensée ne peut se développer harmonieusement
que dans l'action. Et celle-ci ne prend tout son sens que si elle
est constructive. C'est pourquoi la participation au pouvoir (si
généralement et si facilement critiquée) s'avère
indispensable. ".
2/ Une notion sécuritaire et sécurisante
de ghettorisation sous le couvert de motivations pédagogiques
et qui s'avère être un échec.
La création d'un concept de " discriminations
positives " n'est pas propre à l'enseignement. Il existe
ailleurs. La loi , par exemple, introduit un quota " femmes
" sur les listes électorales prochaines. Je n'aborderai
ici que le domaine propre à l'enseignement.
Ce concept peut paraître surprenant dans la
mesure où les deux termes " discriminations " et
" positives " seraient contradictoires. Ils le sont en
réalité. Mais les mots perdent très vite leur
sens premier dans un système de praxis de légitimisation
. En fait, dans le discours interlocutif caractéristique
de nos sociétés postmodernes, le second vient, non
pas contredire, mais justifier le premier. Il y a des discriminations
et cela pose problème. Sous-entendu, surtout, des problèmes
sécuritaires. Ce n'est pas pour rien que, dans sa Note d'orientation
- réforme visant à assurer à tous les élèves
des chances égales d'émancipation sociale, notamment
par la mise en œuvre de discriminations positives, Madame ONKELINX
mettait tellement en relief la violence. Or, un pouvoir démocratique
ne peut tolérer des discriminations entre ses citoyens, au
moins au niveau des principes. Mais, en même temps, il n'ignore
pas l'existence réelle de celles-ci. Il va, dès lors,
" positiver " les choses. Soit justifier l'installation
du ghetto en soi comme étant un moyen pédagogique
en vue d'une meilleure émancipation sociale. Notons qu'il
y a là un glissement de sens certain, puisque, par exemple,
dans le document du C.E.F. (op. cit.), non peut lire : " C'est
(donc) bien la réussite scolaire des enfants issus des milieux
défavorisés qui est l'objectif, les discriminations
positives constituant un des moyens, une des démarches à
mettre en oeuvre pour atteindre l'objectif. ".
Nico HIRTT écrit dans L'école sacrifiée
(EPO 1996), à propos d'une des théories justifiant
la sélection scolaire (le handicap socioculturel) que "
dès lors qu'on prétend expliquer les différences
scolaires des enfants de milieux populaires par des manques, ...
la seule remédiation réside alors dans la mise en
place de programmes compensatoires ou de groupes de niveau destinés
à des handicapés socioculturels. ".
La politique de programmes compensatoires ou de
groupes de niveau n'est pas nouvelle. Elle a été et
est toujours très largement pratiquée dans l'enseignement
spécial que, pudiquement, on appelle aujourd'hui " spécialisé
". Une dérive interlocative de plus.
Aujourd'hui, et un peu partout en Europe, cette
pratique de l'isolement pour raisons pédagogiques est remise
en cause. Dans un Exposé sur l'Intégration scolaire
des handicapés mentaux, Louis Vaney, de l'Université
de Genève, écrit : " le handicap est la conséquence
sociale, la gêne qui rend difficile ou empêche l'accomplissement
des rôles habituels dans la société... ".
Il parle de handicapés mentaux. Je pense qu'on peut étendre
cela aux handicapés socioculturels.
Selon HAMONET (P.U.F. 1990), " l'intégration
est antinomique du handicap ; en d'autres termes, la réduction
du handicap passe par l'intensification des rôles sociaux
joués dans la communauté par l'individu avec les adaptations
et appuis nécessaires. ". Et donc pas, à l'inverse,
par une limitation due à un isolement.
De même peut-on lire dans Déclaration
de Salamanque et cadre d'action pour l'éducation et les besoins
spéciaux (Juin 1994 ) : " les personnes ayant des besoins
éducatifs spéciaux doivent pouvoir accéder
aux écoles ordinaires, qui doivent les intégrer dans
un système pédagogique centré sur l'enfant,
capable de répondre à ces besoins. ".
La ghettorisation apparaît donc de moins en
moins comme justifiée sur le plan conceptuel en termes de
valeurs. Mais aussi, tout simplement, en termes pédagogiques.
Elle est, en réalité, un camouflage des zones d'ombres
engendrées par la société même. Les "
discriminations positives " dans l'enseignement sont là
pour protéger les élèves " normaux "
des autres ; elles ont, de même, une composante sécurisante
: on fait quelque chose pour les exclus, comme on donne une aumône
au mendiant.
3/ Une notion, comme telle, inadmissible pour des
démocrates.
Dans Règles pour l'égalisation des chances des handicapés
(Nations Unies , 1994), on lit, à la règle 26 : "
les handicapés font partie de la société et
ont le droit de rester dans leur collectivité d'origine.
Ils doivent recevoir l'assistance dont ils ont besoin dans le cadre
des structures ordinaires d'enseignement, de santé, d'emploi
et de services sociaux. ".
Il s'agit donc bien de donner plus à ceux
qui en ont le plus besoin, mais pas dans un cadre limité,
spécialisé ou spécifique, dont on sait, par
ailleurs, que, sur un plan strictement pédagogique, ils ne
sont ni stimulants, ni stimulateurs.
Ce principe de non-discrimination s'articule sur
un axe moral et légal directement inspiré de la Charte
internationale des droits de l'homme (Déclaration universelle
des Droits de l'homme, Pacte international relatif aux droits économiques,
sociaux et culturels et Pacte international relatif aux droits civils
et politiques), la Convention relative aux droits de l'enfant, ainsi
que le Programme d'action mondiale concernant les personnes handicapées.
Et, en ce qui nous concerne, de la Constitution du Peuple belge.
Quand Madame ONKELINX, dans ses 40 propositions qui donneront le
décret " Missions ", parlait d'une " politique
audacieuse de discrimination positive " (au singulier !), elle
utilisait le bon adjectif. Le 27/01/1996, la Cour d'arbitrage s'est
prononcée quant aux conditions permettant de déroger
au principe constitutionnel d'égalité. En effet, toute
discrimination va à l'encontre du prescrit constitutionnel.
Que dit-elle ? Que ces discriminations positives soient " appliquées
dans les seuls cas où une inégalité est constatée.
". Donc pour combattre une inégalité manifeste.
C'est le cas. Que cette inégalité identifiée
soit explicitement " désignée par le législateur
". C'est encore le cas. Que ces discriminations " ne restreignent
pas inutilement les droits d'autrui ". C'est déjà
discutable selon ce qu'on met derrière " inutilement
" et " autrui ". Qu'elles soient " de nature
temporaire, étant destinées à disparaître
dès que l'objectif est atteint. ". On peut rêver,
mais l'objectif ne sera sans doute jamais atteint, toutes choses
restant égales à elles-mêmes.
Dans Règles pour l'égalisation des
chances des handicapés (op.cit.), les Nations Unies affirment
que " le principe de l'égalité de droits signifie
que les besoins de tous ont une importance égale, que c'est
en fonction de ces besoins que les sociétés doivent
être planifiées et que toutes les ressources doivent
être employées de façon à garantir à
chacun des possibilités de participation dans l'égalité.
".
Cette " participation dans l'égalité
" inclut nécessairement que les ghettos de tous ordres
sautent, ceux-ci concrétisant de façon tangible et
parfois symbolique les inégalités socioculturelles.
" Les élèves concernés
par les politiques d'éducation prioritaire sont souvent victimes
d'un double processus d'exclusion. La ségrégation
sociale opérée à l'extérieur de l'école
par leur groupe d'appartenance, est renforcée par la faiblesse
de la formation qui leur est assurée lorsque les programmes
sont limités aux seuls aspects que rencontrent leurs intérêts
ou leur adhésion. " (La promotion de la réussite
des enfants issus de milieux défavorisés. Note de
travaux du C.E.F. Décembre 1997).
Cette autre exclusion, au sortir de l'école,
après la première, à l'entrée, est tout
aussi insupportable. Non seulement, les exclusions sont confirmées
au départ de la filière, mais elles subsistent à
la sortie. Le handicapé socioculturel entrant à 5
ans dans un ghetto scolaire a toutes les malchances d'en sortir
à 18 avec la même étiquette, pire avec une étiquette
attestée, chacun sachant que l'école X est une école
à " discriminations positives " avec tout ce que
cela véhicule comme rumeurs fondées ou non. Il est
dès lors, et plus que tout autre, une proie toute désignée
pour les files de chômage, dans le meilleur des cas, pour
la délinquance dans l'autre. Des discriminations qui se voulaient
positives deviennent pour lui, dans les faits, des discriminations
négatives.
" Non seulement les " discriminations
positives ne suffisent pas à assurer la réussite des
enfants d'origine modeste " (Note de travail du C.E.F. Op.
cit.), mais elles n'y arrivent pas dans la plupart des cas. Ici,
la fin ne justifie même pas les moyens.
4/ Pistes pour un réajustement des valeurs de solidarité
ou recentrage d'un pragmatisme sans issue réelle vers une
mise en avant d'une éthique progressiste.
Il existe, pour sortir de la quadrature du cercle
vicieux des " discriminations positives ", des pistes
d'action où mener les combats idéologiques et pragmatiques
en termes de sens.
La Note de travail du C.E.F (op. cit.) y fait plus
qu'allusion. Dans son chapitre 3 (Développer des stratégies),
sous forme de tableaux, le C.E.F. énumère ces axes,
en soulignant, en parallèle, les " collaborations "
indispensables. Ces axes s'articulent autour des points suivants
:
n mettre en œuvre des discriminations positives
n réaliser l'équité scolaire
n garantir un bon niveau d'acquis/compétences initial à
tous
n assurer une éducation à la citoyenneté et
une formation à l'insertion sociale.
Dans le cadre des " discriminations positives
", par exemple, le document perçoit fort bien la globalisation
des problèmes du handicap socioculturel : liens avec l'habitat,
la santé, les carences socio-affectives, etc.... Tout comme
il souligne l'intérêt majeur de faire collaborer les
différents niveaux de pouvoirs concernés.
Le document ne souligne pas pour autant que les
problèmes rencontrés par et auprès des enfants
issus de milieux défavorisés sont induits, an amont,
par un modèle de société où la sphère
économique prime, et de loin, sur la sphère sociale.
Où le seul projet de société, si on peut dire,
est celui du tout au profit. Ces " processus totalitaires "
dont parle Marc MAESSCHALCK(Op. cit.), et qui ne sont plus guère
soumis à la pression des " luttes libératrices
". La seule alternative restant dès lors l'éthique
de la réaction, dont le document du C.E.F. est un bon exemple
en préconisant de soigner les symptômes mais en négligeant
la source même du mal. Il est d'ailleurs significatif que
le C..E.F. entretienne la confusion autour du terme " politique
". Ainsi, quand il parle de " mener UNE politique "
ou de " proposition politique " , faut-il entendre par
là, non pas une option de société, mais des
moyens mis en œuvre, une pédagogie, une méthodologie.
La question du " pour quoi " et celle du " comment
" se confondent. On est dans un système de gestion pure
et simple, sans remise en cause ou en question des mécanismes
ou du système générant les inégalités
et les exclusions. Le seul objectif, y lit-on, est une " insertion
sociale " qui permette de " faire face avec succès
" aux effets pervers d'une pédagogie différenciée,
c'est-à-dire d'une pédagogie qui, en fait, transforme
les différences en inégalités.
Quant aux deux autres volets, ils paraissent tout
aussi illusoires. Ainsi, pour ce qui est de l'équité
scolaire, comment imaginer qu'on puisse exprimer, à l'endroit
des enfants issus de milieux défavorisés, simplement
en le décrétant, " les mêmes exigences
de réussite, la même ambition dans les objectifs, en
rendant les écoles qu'ils fréquentent aussi performantes
que les autres " ? Comment, sans ce même contexte, leur
apporte la " garantie d'un bon niveau d'acquis et de compétences.
" ?
Pas, on l'aura compris, dans les ghettos entretenus par les "
discriminations positives. ". Ce n'est qu'en leur permettant
de fréquenter des écoles ordinaires, avec l'appui
qui s'impose, que l'on pourra arriver, et encore très progressivement,
à avoir à leur égard les mêmes exigences
de réussite et de qualité.
Dans Règles pour l'égalisation des
chances des handicapés (Op.cit.), on peut lire (règle
27) : " A mesure que les handicapés parviennent à
l'égalité des droits, ils doivent aussi avoir des
obligations égales. ".
Ne pas jeter la charrue avant les boeufs donc.
Un autre argument plaidant en faveur d'une réelle
intégration des enfants défavorisés en milieux
scolaires ordinaires, est que " les discriminations positives
", par le fait que des critères soient imposés
par le législateur pour y avoir accès, violent, à
mon sens, le vie privée. Ainsi peut-on lire chez Bernadette
SMEESTERS(Action et discrimination positives. C.E.R.P - U.L.B.)
: " Un exemple criant (de violation de la vie privée)
: l'article 5 de la proposition de décret du 15 juillet 1997
relatif à la mise en œuvre d'une politique de discriminations
positives dans l'enseignement (déposée par MM CHARLIER,
ANTOINE et HANNEL). Parmi les indicateurs pris en considération
pour la détermination des populations et des établissements
éligibles, figurent l'habitat, la structurelle professionnelle
des parents, le niveau des ressources du ménage exprimé
par la personne appartenant au ménage, le taux de chômage
des parents et le taux des familles bénéficiant d'une
intervention du C.P.A.S., le niveau de scolarisation des parents
et la présence des familles d'origine étrangère,
d'encadrement des enfants, le nombre de primo-arrivants. ".
Mais alors quoi ?
Il n'est évidemment pas question, pour l'heure,
de cracher sur les quelques mesurettes prises ou à prendre
et dites de " discrimination positives ". Ce qui est pris
n'est plus à prendre. Mais ce ne peut être qu'une situation
d'attente. C'est en fait tout l'enseignement obligatoire qui doit
être revu et corrigé. La sortie d'un Décret
sur les Missions de l'école était sans doute l'occasion
rêvée de le faire. On sait hélas ! ce qu'il
en a été et combien ce texte consacre les discriminations
négatives et dualise l'école. Comment l'écrivait
Nico HIRTTà l'époque, et à propos du fameux
décret : " pour l'école duale, c'est tout droit
! ".
La solution à court terme pourrait s'inspirer
de ce qui se fait, encore timidement mais de façon de plus
en plus marquée, dans l'enseignement spécial en matière
d'intégration d'enfants de l'enseignement spécial
en enseignement ordinaire.
Sans doute est-il utile de préciser ce terme
d'" intégration " souvent confondu avec celui d'
" insertion " ou d' " assimilation ".
L'insertion consiste à inclure un élément
dans un groupe ; l'inclus est juxtaposé, sans plus. C'est,
on le remarquera, le terme le plus communément utilisé.
On parlera, par exemple, de l'insertion professionnelle. Ce n'est
sans doute pas une méprise, mais le reflet d'un société
déterminée. On parle aussi souvent d'assimilation
socioculturelle. Ici, en fait, on se trouve en présence d'un
phénomène d'acculturation. La personne assimilée
perd son identité propre et revêt celle du groupe assimilateur.
L'intégration est toute autre. La différence,
avec elle, ne sépare pas, elle rapproche. Chacun s'adapte
à l'autre, et le groupe s'adapte à chacun. Cela ne
signifie pas qu'il n'y ait pas de besoins spécifiques à
satisfaire ; cela signifie que les besoins spécifiques sont
assurés à l'intérieur du groupe. On n'écarte
pas les personnes à besoins spécifiques, on ne les
isole pas.
C'est une pratique qui se développe petit
à petit chez nous, au départ de l'enseignement spécial.
Des enfants handicapés (même mentaux prononcés)
participent à la vie commune et normale d'écoles ordinaires.
Après un passage aussi bref que possible en enseignement
spécial, l'élève le quitte pour se voir intégrer
dans une école ordinaire. Mais il n'est pas lancé
dans l'aventure sans rien. Il reçoit l'appui d'un professeur
de l'école spéciale quittée qui vient satisfaire
ses besoins spécifiques dans sa nouvelle école (4
périodes par semaine). Ce maître d'appui aide aussi
le groupe intégrateur à intégrer l'enfant handicapé.
Cela dure aussi longtemps que nécessaire.
C'est une pratique qui doit s'intensifier. Elle
nécessite des moyens humains et matériels, mais aussi,
et surtout, une révolution des mentalités. Tant de
la part des praticiens que des décideurs politiques. Je la
vois fort bien se réaliser dans les écoles en "
discriminations positives ".
Dans Déclaration de Salamanque et Cadre d'action
(Opus cit.), on trouve, au point 26, ceci :
" La création en milieu urbain comme
ne milieu rural d'écoles intégratrices accueillant
un large éventail d'élèves exige : l'adoption
d'une politique d'intégration claire et énergique
appuyée par un financement adéquat ; une campagne
de sensibilisation efficace visant à combattre les préjugés
et à encourager les attitudes positives sur la base d'une
meilleure information ; un vaste programme d'orientation et de formation
professionnelle ; et la mise en place des services d'appui requis.
Pour contribuer au succès de ces établissements, il
faudra introduire des changements dans de nombreux aspects de l'enseignement,
et en particulier dans les programmes, les locaux, l'organisation
des écoles, la pédagogie, les méthodes d'évaluation,
le recrutement du personnel, l'éthique scolaire et les activités
périscolaires. ".
On le voit, ce n'est pas rien. Et on est loin du
compte, tant au niveau des moyens que des mentalités.
On y lit encore, aux points 29 et 32 :
" Les enfants ayant des besoins éducatifs
spéciaux doivent bénéficier d'un soutien pédagogique
supplémentaire dans le cadre du programme ordinaire, et non
au titre de programme différent. Le principe directeur doit
être de donner à tous les enfants la même éducation
en fournissant une aide et un soutien supplémentaires à
ceux qui en ont besoin. ".
Et : " Les enfants qui ont des besoins éducatifs
spéciaux devraient pouvoir recevoir un soutien continu selon
des modalités diverses allant d'une assistance minimale en
classe à des activités complémentaires de soutien
pédagogique... ".
Toutefois, changer l'école et elle seule,
comme si elle était un élément isolé
de la société, autonome, ne servirait à rien.
Ce n'est pas un hasard de circonstances qui fait que des milieux
socioculturels défavorisés existent. C'est un concours
de circonstances sécrétées par la société
en personne.
C'est donc tout un système sociétal
qui est à revoir. Et ce n'est possible que si tous les acteurs
sociaux, y compris les décideurs politiques, mettent en avant
un projet de société de réajustement des valeurs
de solidarité. Or, il faut bien le dire, on est loin du compte.
Sur l'échiquier national belge, seuls les extrêmes
portent un projet de société. Tous deux s'appuient
sur des modèles et des idéologies qui ont fait faillite
: le marxisme d'une part, le fascisme de l'autre. Entre les deux,
la masse des partis traditionnels, tous confondus dans une éthique
de la réaction et une politique de légitimisation
du pouvoir.
La situation se complique même du fait de
la multiplicité des pouvoirs décisionnels : état
fédéral, communautés, régions. Les compétences
sont éclatées. Les moyens aussi. Or, nous l'avons
dit, il faut agir à tous les niveaux. Mais l'habitat, la
santé, la formation dépendant d'autant de pouvoirs
différents, quand des conflits de compétences n'éclatent
pas tout bonnement , bloquant tout. Il me paraît donc essentiel
que se poursuive le détricotage de l'Etat belgo-belge et
que les Régions se saisissent de toutes ces compétences
saupoudrées de ci, de
là. Porteuse d'un projet de société socialiste
qu'il faudrait réactiver sans doute, mais qui existe bel
et bien, la Wallonie pourrait repasser à une éthique
de l'action. C'est la condition sine qua non pour que soient abolies
toutes notions de " discriminations positives " au profit
d'actions positives, lesquelles, pour reprendre les mots de Jean
CORNIL, Directeur adjoint du Centre d'Egalité des chances
et de la lutte contre le racisme, lors de son audition au Parlement
Wallon, lesquelles visent à " contrer les discriminations
directes, relevant de la norme, et indirectement, relevant de pratiques
institutionnelles qui, bien que n'ayant pas pour but de discriminer,
ont comme conséquence le fait de défavoriser certains
groupes " et à prendre " en considération
la dynamique de la précarisation elle-même. ".
Alors que, pour le même toujours, les " discriminations
positives conduisent à des situations de ségrégation
et non d'intégration. ".
Intégrer plutôt qu'induire la ségrégation.
La Wallonie, et plus particulièrement les gauches wallonnes,
auront-elles le courage de relever le défi ? Qui sait ? C'est
en tout cas tout le bien que nous puissions nous souhaiter à
aux prémices de ce nouveau millénaire qui sera celui
de l'abolition de toutes les formes d'exclusion ou celui, au contraire,
de toutes les formes de rejet.
Pour l'heure, en tout cas, et tant que la Wallonie
sera enfermée dans le carcan de la Belgique, il serait temps
de reconsidérer une fois pour toutes cette sacro-sainte liberté
du chef de famille en matière de choix d'une école.
Liberté qui n'existe, dans les faits, que pour ceux qui en
ont, comme on dit, les moyens. Mais pour ce faire, il faudrait modifier
la Constitution et instaurer un système de carte d'enseignement,
certes pas parfait si l'on en juge par ce qui se passe en France,
mais quand même garant d'une meilleure équité
entre citoyens face à l'école. Mais quelle majorité
l'osera ? Quelle majorité osera ce séisme dans le
paysage belge d'un enseignement de réseau unique publique
?
Je ne sais. Et pourtant, sans cela, il y a gros
à parier que les bantoustans qui se sont installés
dans la société ne deviennent un jour ou l'autre une
poudrière qui ne demandera qu'à exploser à
la première étincelle. Ce qui se passe, aujourd'hui,
dans certains bantoustans scolaires peut en donner une idée.
Nous nous préparons assurément des
lendemains qui vont déchanter.
|