Elie Baussart

Conscience de Wallonie

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Bulletin n° 82 : Walen buiten : ne pas oublier

10 juillet, 2016 (06:47) | accueil | By: admin

Les villes d’Ottignies Louvain-la-Neuve et Leuven ont décidé en ce mois de mai 2016 de se jumeler. Exit le « Walen buiten » ? Pas vraiment. Les Wallons n’ont heureusement pas la mémoire courte. Et même si Patrick-Piret-Gérard, conseiller, s’épanche dans les médias en déclarant à qui veut l’entendre »Symboliquement et politiquement, c’est un geste fort », on n’en est pas là dans notre chef. Non que nous ayons la rancune tenace, mais parce que ce « Walen buiten » fut le premier pas significatif, après d’autres et avant d’autres, d’une mise à l’écart par la Flandre de la Wallonie.

Rappelons, pour celles et ceux qui n’ont pas vécu ces événements, de quoi il ressort.

En 1962, les lois linguistiques GILSON consacrent l’unilinguisme des régions. Dès lors, les exigences flamandes se firent de plus en plus pressantes, exigences qui se heurtaient à un non catégorique des évêques des Belgique, pouvoir organisateur de l’Université catholique de Louvain: pas question pour eux de scinder en deux  l’université. Même le dédoublement des cours, le bilinguisme administratif et le nombre croissant de professeurs néerlandophones ne suffisaient pas à satisfaire les exigences des Flamands : la présence d’une université francophone sur le territoire de la Flandre était vécu comme une insulte à la cause flamande.

Soyons clairs, la cause flamande comme telle ne nous dérange pas. Que du contraire: comme Wallons, elle rejoint la nôtre. Mais il y avait là, une symbolique d’un fédéralisme dont rêvaient et rêvent d’ailleurs toujours certains.

Revenons donc aux événements qui agitèrent les étudiants dans ces années-là.

Le 5 novembre 1967, 30 000 Flamands, dont vingt-sept parlementaires du PSC-CVP, défilèrent dans les rues d’Anvers  en  exigeant le départ des étudiants francophones de Louvain, au nom du droit du sol et de l’unilinguisme régional. Le droit du sol. Un droit du sol qui va souvent de pair de nos jours encore avec une forme larvée d’exclusion.

Une forme d’exclusion que la Wallonie rejette majoritairement à l’instar de Elie BAUSSART qui écrivait dans La Cité Nouvelle, le 22 août 1945 : « Mais si, sous prétexte de demeurer fidèle à ses origines, le peuple wallon se murait dans une sorte de racisme, si, pour cultiver ses originalités, il affirmait seulement ses motifs d’opposition, négligeant systématiquement les points de contact, si, par souci d’assurer sa prospérité, il prenait un soin de ses intérêts, exclusif des solidarités que la géographie et l’histoire lui imposent, il compromettrait la communauté à laquelle il appartient, sans pour cela améliorer sa propre situation »

Durant les mois qui suivirent, les étudiants flamands de Louvain défilèrent régulièrement dans les rues de Leuven en scandant des slogans hostiles aux francophones dont le célèbre « Walen buiten ». Les étudiants francophones réagissent avec humour et créent l’Université de Houte-Si-Plou et défilent en cortège dans cette ville de la périphérie liégeoise.

Le gouvernement VANDEN BOEYNANS (PSC) laisse aux évêques le soin de solutionner le problème.

Le 2 février 1968, Monseigneur De Smedt, évêque de Bruges, revient sur ses positions du 13 mai 1966, en avouant à Courtrai, devant une assemblée de membres du Boerenbond, qu’il s’était « grossièrement trompé »

Au sein du PSC, unitaire toujours, la déchirure est profonde. Le premier ministre d’alors, Paul VANDEN BOEYNANS, francophone, remet sa démission au roi. Nous sommes le  7 février 1968.

Lors de la campagne électorale qui suivit, PSC et CVP, pour la première fois de leur histoire, vont défendre des programmes différents. La famille sociale-chrétienne perd dix sièges dans l’affaire, exception faite de Bruxelles où elle en gagne deux grâce à la notoriété de VANDEN BOEYNANS. Parallèlement, trois partis « communautaires » progressent : deux sièges en plus pour le FDF, cinq pour le Rassemblement wallon et huit pour la Volksunie.

La section francophone est condamnée à déménager. Le 20 octobre 1972, la première rentrée académique eut lieu à Louvain-la-Neuve, qui n’était encore qu’un vaste chantier.

Clôturons par ces quelques mots d’Elie BAUSSART :

« Le fondement de notre régionalisme, c’est la Wallonie. S’il entre dans la délimitation de la région un déterminisme géographique…, d’autres éléments interviennent, moins rigides, tels que l’histoire, l’économie, la psychologie, voire la liberté humaine qui se trouve, à un moment donné, en devoir de choisir…La langue n’est pas qu’une phonétique, mais l’expression adéquate et subtile de tout l’intime du moi, de toute l’âme d’un peuple. Et s’il est vrai que la différenciation du fond et de la forme ne soit qu’une fiction, si, par conséquent, une langue n’est que la figure du génie du peuple ou de la race qui parlent, dans quelle mesure, à son  tour, la langue, inséparable de la pensée qu’elle exprime, agit-elle sur la formation des concepts, leur association et leur ordonnance, comment, en un mot informe-t-elle la pensée? Action et réaction combinées, langue et pensée son unies si étroitement qu’on ne peut guère les dissocier que par une opération purement intellectuelle. L’une et l’autre sont également révélatrices du peuple qui les présente…Un peuple qui perd sa langue ou la laisse s’éteindre, abdique en même temps que sa personnalité, son droit à l’existence…C’est pourquoi le régionalisme wallon apparaît surtout comme un mouvement de défense linguistique et culturelle…La langue ordinaire des populations romanes est le wallon, mais un wallon qui diffère d’un terroir à l’autre… et qui, faute d’une littérature écrite, abondante et accessible à tous, est impuissant à créer d’un bout à l’autre du pays roman un courant d’idées suffisamment nourri…(Cependant) de Verviers à Tournai, de Nivelles à Arlon, il y a un air de famille qui fait qu’on se reconnaît, se recherche et sympathise…Une langue menacée devient le signe même de tout ce qui, avec elle, est en jeu: nos libertés et notre dignité dans l’Etat, notre originalité, notre développement, nos intérêts…La Wallonie, c’est donc cela: un peuple de langue française, avec une âme originale…Le régime de centralisation de 1831 n’est peut-être pas le système idéal… Notre régionalisme devient peu à peu une politique dont les lignes se dégagent davantage tous les jours.. » (La Terre wallonne. Mai 1924)

Effectivement, notre régionalisme devient peu à peu une politique dont les lignes se dégagent d’avantage tous les jours. Et c’est pourquoi, nous ne pouvons, ni ne voulons oublier le « Walen buiten » d’alors mais aussi toujours bien présent aujourd’hui.

Bernard DE COMMER

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